28 novembre 2025
Partager Imprimer

Cyberattaques et financements - Considérations pratiques pour les emprunteurs

To The Point
(5 min read)

Les récentes cyberattaques visant de grandes entreprises françaises ont mis en évidence la rapidité avec laquelle un incident peut perturber les opérations quotidiennes, affecter la performance financière — voire provoquer une chute brutale de l’activité — et compromettre le respect des obligations contractuelles. Ces événements ont également un impact sur la documentation de financement et sur la relation entre prêteurs et emprunteurs.

Publié au préalable dans l’Agefi.

Dans un contexte où les menaces cyber se multiplient, il est essentiel pour les emprunteurs d’évaluer l’impact potentiel de tels événements sur leurs engagements financiers, et de s’assurer que leur documentation de financement ainsi que leur dispositif de gestion des risques sont à jour et adaptés.

On rappellera à ce titre que plusieurs règlementations imposent aux sociétés de mettre en place des politiques de continuité des activités des services TIC et de réponse aux incidents  (ex: DORa, MiCA, Cyber Resilience Act, NS2…)

Cas de défaut et évènement défavorable significatif

La plupart des contrats de financements comportent des clauses générales relatives à un « évènement défavorable significatif » (Material Adverse Change – MAC), ainsi que des déclarations et garanties portant sur la situation financière de l’emprunteur et, le cas échéant, du groupe auquel il appartient.

En pratique, il est rare qu’un incident cyber déclenche à lui seul une clause MAC dans une opération de financement : une telle mise en œuvre suppose une dégradation substantielle et durable de la situation financière ou opérationnelle de l’emprunteur. Les prêteurs privilégient en général une approche coopérative afin d’éviter d’aggraver les difficultés de l’entreprise. Toutefois, si l’impact de l’attaque s’avère significatif – par exemple en cas de paralysie prolongée des systèmes, de perte de revenus substantielle ou d’atteinte grave à la réputation – un cas de défaut pourrait être caractérisé.

L’analyse peut toutefois être différente dans le cadre des financements d’acquisition. En effet, un incident cyber affectant la société cible peut être qualifié par le prêteur d’évènement défavorable significatif au sens de la documentation d’acquisition. Dans ce cas, cet incident pourrait être repris par les prêteurs et constituer un déclencheur potentiel de la clause MAC prévue dans le contrat de crédit.

De plus, certaines obligations contractuelles spécifiques, telles que le respect des lois applicables, la préservation des actifs, la mise en œuvre de dispositifs de sécurité informatique ou la continuité d’activité, peuvent également avoir un impact sur la pérennité de l’opération, et par voie de conséquence, du financement.

Les emprunteurs ont donc intérêt à examiner attentivement leur documentation de crédit afin d’identifier toute obligation relative aux systèmes d’information, à la protection des données ou à la résilience opérationnelle. En cas de manquement, les prêteurs pourraient exercer leurs droits, notamment exiger le remboursement anticipé, suspendre les tirages ou renégocier certaines conditions jusqu’à la résolution de l’incident.

Dans ce contexte, il est important de disposer d’un plan de gestion de crise clair, d’un programme de sauvegarde robuste si les données venaient à être impactées, et d’assurer une communication transparente et régulière avec les prêteurs, afin de préserver la relation de confiance et de limiter les conséquences contractuelles d’un incident cyber.

Pression sur les engagements financiers - Cash is King

Un incident cyber majeur peut fragiliser les engagements financiers. Si l'activité doit s’arrêter ou si les coûts augmentent soudainement, l’emprunteur peut avoir du mal à respecter ces exigences. Même si les engagements sont généralement contrôlés sur 12 mois, une perturbation prolongée peut entraîner des violations sur plusieurs périodes. Les prêteurs peuvent alors demander des prévisions actualisées ou renforcer les contrôles. Dans les cas graves, ils peuvent imposer des frais ou augmenter les marges pour refléter le risque accru. 

Dans ces situations, « Cash is King » : il peut être judicieux de tirer plus de fonds que nécessaire pour disposer de suffisamment de capital afin de gérer les conséquences d’une attaque.

Considérations sur l'assurance

L’assurance cyber constitue souvent une première ligne de défense, mais ses limites doivent être bien comprises. Certaines polices excluent ou limitent la couverture pour les pertes de bénéfices ou la baisse de valeur de l’entreprise après une attaque. 

Les prêteurs peuvent avoir leur mot à dire sur l’utilisation des indemnités – parfois ils exigeront que les indemnités servent à rembourser les prêts, ou les excluront du calcul des bénéfices. Cette interaction entre couverture d’assurance et financement peut avoir un impact sur le calcul des ratios financiers et réduire la flexibilité de l’emprunteur.

Conséquences réputationnelles, réglementaires et contractuelles

Un incident cyber entraîne des obligations de déclaration obligatoire auprès des régulateurs (CNIL, ANSSI, mais également d’autorités sectorielles ACPR, AMF, ARS.…) et aux personnes concernées si l’incident a un impact sur leur vie privée au titre du RGPD ou pour répondre à des obligations règlementaires particulières (c’est notamment le cas pour les sociétés soumises au règlement Abus de Marché). 

L’obligation d’information aux prêteurs peut également résulter de la documentation financière. 

Il n’est pas inutile de rappeler qu’outre le préjudice en termes d’image, la société victime peut être sanctionnée si l’enquête révèle des défaillances et les dirigeants tenus personnellement responsables si la stratégie de résilience et dispositifs de gouvernance mis en place sont jugés insuffisants (NIS2, DORA…). Les coûts associés, la distraction de la direction et l’incertitude peuvent être donc importants. On peut, à cet égard, rappeler le cas SolarWinds : la société, victime d’une cyberattaque, a fait l’objet de poursuites par la SEC pour manque de transparence vis-à-vis de ses investisseurs.  

Les incidents cyber rappellent la nécessité, pour les emprunteurs, d’adopter une approche proactive de gestion des risques et des financements. Une interruption opérationnelle peut rapidement se traduire par des tensions de trésorerie et des violations d’engagements. 

Les sociétés doivent par conséquent s’assurer que les équipes juridiques, financières et informatiques travaillent ensemble, vérifier les documents de prêt et envisager des options de liquidité de secours.

Prochaines étapes

Pour toute question que vous aimeriez aborder, veuillez prendre contact avec nos associés.